Randalina toussota légèrement en espérant masquer son dégoût. Elle finit par détourner son regard et fixa les fins motifs du plafond qui rappelaient une toile d’araignée géante.
Derrière elle, seuls les pieds du troll dépassaient de la carcasse d’Anub’Rekan. Il était établi depuis longtemps dans le groupe que le rôle de fouiller les cadavres revenait à Darkoustiv, mais l’idée même de dépecer une telle abomination faisait monter un arrière-goût de vomi dans la bouche de la magicienne.
Randalina jeta un coup d’œil à ses compagnons. Dejà avancé de quelques pas vers le couloir qui menait vers les autres pièces de la citadelle de Naxxramas, Gosusatan faisait rebondir nerveusement son épée contre les ornements de ses bottes d’acier-titan. Le guerrier n’espérait rien de cette fouille, il en avait vu bien d’autres et n’était présent que pour aider ses amis. On pouvait presque voir les fourmillements d’impatience qui agitaient ses épaules. Il voulait tuer, tuer vite, tuer proprement. Un peu en arrière, Grosac se tenait un peu courbé, ses lèvres remuant en une prière silencieuse. Son armure avait moins d’éclat que celle de Gosusatan, et il nourrissait de grands espoirs de la fouille en cours. Thobrak, dans sa forme de félin, courait tout autour du cadavre en sautillant. Son poil luisant couvrait des muscles puissants. Le druide ne pouvait tenir en place, mais n’osait pas non plus devancer Gosusatan dans les salles suivantes.
Un morceau de chair vola en l’air et vint s’écraser aux pieds du groupe de casters restés à l’écart. La complexité anatomique de la bête était telle que Darkoustiv devait tailler dans la viande et se débarasser au fur et à mesure des morceaux inutiles qui entravaient son avancée vers l’estomac. Stevee eu un mouvement de recul.
« -Darkou, un peu de délicatesse s’il-te-plaît ! ». Stevee remonta légèrement sa robe pour essuyer les gouttes de sang vert qui avaient été projetées sur le revers.
« -Je vois l’estomac, ça y est presque ! ». La voix étouffée de Darkoustiv leur parvenait depuis l’intérieur de la carcasse. Enfin, le prêtre réapparut, tenant dans main un tendon visqueux au bout duquel pendait une poche de chair gluante et dégoulinante de sang.
Le petit groupe se rapprocha du prêtre. D’une main assurée, Darkoustiv tailla une large incision dans l’estomac, et un petit objet tomba sur le sol et rebondit dans un bruit métallique. Un anneau.
Tous, instinctivement, baissèrent les yeux sur leurs mains respectives. Randalina vit à son doigt la chevalière qui lui avait été confiée par le Kirin Tor. Cette bande de mages, réputés pour leur héroïsme, étaient surtout des commerçants hors pair. La magicienne avait dû débourser un bon paquet d’or afin d’obtenir la chevalière.
«- Le Kirin Tor vous remercie, sans vous, nous ne serions jamais arrivé à limiter l’invasion du Fléau
- Tu parles, sans mon or, vous n’auriez pas pu vous prélasser à Dalaran dans la soie et la nourriture pendant que mes amis et moi combattons en votre nom, bande de planqués » avait murmuré la Randalina entre ses dents en quittant la boutique luxueuse.
Darkoustiv tenait maintenant l’anneau entre ses mains, et l’approchait de son visage, les yeux plissés, pour mieux l’inspecter. Seul le prêtre pouvait tenir les objets sans propriétaire, il connaissait les formules secrètes pour ne pas se lier à la magie des équipements. Cette science demandait une grande maîtrise de soi, et les accidents n’étaient pas rares dans le monde d’Azeroth. Les membres de la petite équipe respectaient Darkoustiv pour cet art, et personne n’osait le déranger pendant son inspection, de peur de le déconcentrer.
« -Il y a une grande puissance, animale, brute, qui se dégage de cet anneau. Elle n’a pas de forme, et ses murmures ne me citent pas de classe. Elle rendra son porteur plus rapide, plus agile. Son empreinte vitale sera inscrite plus profondément dans ce monde. »
Les compagnons se regardèrent. Un objet pour un combattant, pas un adepte de la magie. Randalina se rapprocha de Stevee, et ensemble ils avancèrent vers la sortie. L’objet ne les concernait pas.
Grosac s’avança vers Darkoustiv timidement. Il cachait ses mains derrière son dos, mais Randalina savait ce qu’il dissimulait. A sa main droite, un simple jonc en adamantite, cabossé et mât, qui exhalait une magie primitive et faible. Darkoustiv releva la tête vers Grosac. Il savait, il avait compris. Mais dans leur groupe, il fallait faire preuve de courage pour se voir attribuer un tel objet.
Darkoustiv s’exprima d’une voix forte et assurée, sans quitter des yeux Grosac :
« - Que ceux qui pensent pouvoir tirer projet de la puissance de cet anneau se manifestent, que le hasard leur soit favorable… »
Grosac glissa la main dans une petite poche de sa cape et sortit une paire de dés brillants. Il les jeta nonchalamment sur le sol. Thobrak arrêta ses bondissements et se pencha vers les dés. Randalina et Steeve se levèrent sur la pointe des pieds. Ils ne pouvaient voir le résultat depuis leur place, mais guettaient les réactions du druide. Gosusatan arrêta de cogner son épée et soupira.
Darkoustiv releva la tête vers Grosac et dit dans un souffle :
« -Quatre… »
Dans le silence qui suivit, on entendit les crissements des pattes d’un cafard dans le couloir adjacent.
Randalina restait muette, essayant de contrôler sa propre respiration. Enfin, après quelques longues secondes, Darkoustiv tendit sans un mot l’anneau à Grosac qui s’empressa de le passer à son doigt. Le jonc de ferraille avait discrètement disparu au fond d’un sac probablement. Le petit groupe se remit en marche. Restée en arrière, Randalina ne put s’empêcher d’esquisser un sourire : « Quatre… » pensait-elle. Derrière elle, elle entendit Thobrak murmurer : « Bouffon, quatre… ».