Tricostérina reprit conscience soudainement mais n’ouvrit pas tout de suite les yeux. Elle s’amusait souvent à faire fonctionner ses sens afin de deviner où elle se trouvait lorsqu’elle se réveillait. A travers ses paupières, elle devina un soleil pâle. Les fins bruissements qui lui parvenaient suggéraient quand à eux de hauts arbres. Quelques voix sourdes et au timbre voilé murmuraient à quelque distance de là où elle était étendue : des morts-vivants discutaient. Vexevenin, à n’en pas douter. Tricostérina ouvrit enfin les yeux et son regard ébloui tomba sur un bâtiment haut en pierres grises. Gagné, la cathédrale de Vexevenin.
La prêtresse bondit sur ses pieds en un mouvement gracieux, ramena ses cheveux bleus derrière ses oreilles pointues, frotta sa robe afin d’effacer les plis qui trahissaient un long sommeil. A peine avait-elle repris ses esprits qu’elle reçu l’invitation de Gosusatan. Elle vérifia l’heure d’un coup d’œil : elle arrivait juste à temps pour le départ du groupe à Naxxramas. D’une pensée, elle se raccorda aux âmes de ses compagnons. Tous étaient déjà là, prêts à se battre. Elle murmura une invocation rapide, et monta avec sveltesse sur sa wyverne préférée, dont les rênes métalliques brillaient dans les derniers rayons du crépuscule hivernal. Un coup de pied, l’envol. Le vent balayait crûment les joues rougies par le froid de la charmante prétresse. La course jusqu’à l’entrée de la forteresse n’était pas longue, Tricostérina avait choisit judicieusement son coin pour dormir.
Elle traversa rapidement le tourbillon de fumée verte. Quelques secondes d’inconfort marquaient toujours l’entrée dans les zones occupées par le fléau. Tricostérina sentit un crochet arracher son nombril et l’aspirer en avant, puis elle se sentit tomber à genoux sur les pierres froides du sol de la citadelle de Naxxramas. Elle releva la tête et vit ses compagnons. Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle se sentait toujours émue de les voir avant le combat. Leurs armures impeccables leur donnaient fière allure : les plaques et les mailles brillantes et lustrées, les soieries mordorées, tout cela lui donnait du baume au cœur, et elle oubliait un instant les présages sanguinaires et les dangers innombrables des salles profondes de la citadelle. Ses compagnons l’accueillirent chaleureusement, l’aidant à se relever avec douceur.
Mais soudain, le visage de la prêtresse s’assombrit. Derrière ses compagnons, une petite table bleue flottait à quelques centimètres du sol, débordant de victuailles entamées. Une table invoquée par un mage. Sans un mot, Tricostérina fixa son regard sur Steeve. Le démoniste rougit jusqu’aux oreilles et balbutia : « Tiens, Randalina est passée juste avant que tu n’arrives, elle nous a laissé quelques strudels de mana, pour nous souhaiter bonne chance… ». Tricostérina sentit son cœur se déchirer en deux. Ainsi, la fameuse mage tournait encore autour de ses compagnons. Elle huma l’air autour d’elle et sentit le parfum de l’autre, l’autre femme. Celle qu’elle ne voyait jamais, mais dont l’existence la dévorait. Celle qui laissait toujours de la nourriture à ses compagnons, qui d’un mot leur apportait un bénéfice d’intelligence. Celle dont, selon la légende, les poches débordaient d’écus d’or. Celle qui inondait le monde d’écureuils mécaniques et de sacs richement brodés.
Tricostérina sentit la brûlure de la jalousie dans ses entrailles. Randalina, celle qui venait de partir, celle qui devait arriver, celle qui n’était jamais là.
Steeve s’approcha doucement de Tricostérina et entoura ses épaules de son bras maigre. « Nous avons besoin de toi Trico’, ce soir. Le danger est partout, tu dois nous insuffler la vie. ». Derrière eux, la voix caverneuse de Thobrak s’éleva : « Mamour, je vais tanker ce soir. Tu es ma soigneuse. Personne d’autre.».
Tricostérina releva la tête, les yeux embués de larmes. « En route… » souffla-t-elle. Le combat les appelait, le sang devait couler. Randalina ne perdait rien pour attendre.